Escalade dans le futur

2050


par Cedric Larcher


texte original http://www.kairn.com/article.html?i...

2050 c'est l'année. C'est aussi ce que m'a coûté en Euros m'a dernière voie au Verdon. Dès que j'avais eu la météo de l'année suivante, j'avais bloqué auprès de la Fédération le créneau de 4h (8-12h) du 11 mai sur les "minets gominés".

J'avais eu de la chance, un désistement m'avait permis de trouver une place. Il apparaît qu'il faut maintenant réserver 2 ans à l'avance pour les voies les plus courues (La demande, le pilier des écureuils...) et que à la Fédération il faut parfois réserver 8 ans a l'avance pour les grands sommets comme le Mt Blanc...

Le jour J, je suis parti a 7h de La Palud avec le premier petit train touristique qui fait le tour de la route des crêtes. A 7h30 j'étais en haut de la voie. J'ai composté mon ticket et la corde de rappel automatique s'est déroulée dans les rappels. Je me suis équipé, surveillé par les vautours (ils ont mis des caméras au coup des vautours et comme ceux ci tournent autour des grimpeurs, cela permet une surveillance optimum), et je mes suis accroché aux boucles pour une descente automatique. Arrivée en bas le câble d'accroche de la voie est apparu. J'ai mis mon autobloquant dessus et j'ai commencé a grimper auto assuré.

Première galère : au premier relais, il n'y avait plus de Pepsi au distributeur. J'ai appuyé sur le bouton de service mais l'hôtesse m'a expliqué qu'il n'y avait plus que du coca sur les distributeurs du Verdon car la marque avait payé ainsi le droit de peindre son logo en grand sur toute la falaise l'Escales. Effectivement le fond de voie était maintenant rouge au lieu du joli vert du logo BNP qu'il y avait avant. Je trouve qu'ils devraient faire attention a trouver des marques qui se confondent bien dans le paysage. L'environnement c'est aussi faire attention a des petites choses. Ca m'a tellement énervé que j'ai tapé WWF sur mon clavier de téléphone portable afin que soit prélevé automatiquement 2 euros sur mon compte pour les aider dans leurs actions.

Au deuxième relais j'ai mis "stairway to heaven" sur le diffuseur de musique d'ambiance. Le problème c'est qu'au milieu de la longueur le mp3 s'est mis a bégayer. Il n'ont sûrement pas changé les masters depuis le début de l'installation des diffuseurs en 2027 alors c'est sur que ça finit par s'abîmer. Bref. Ca m'a tellement énervé que je me suis bloqué deux fois sur le câble en faisant des erreurs de placement. J'ai fini par débrancher l'assistant de grimpe car la petite voie qui dit "essaye encore une fois" en m'expliquant que ce n'est pas mon pied droit qu'il faut que je monte mais mon pied gauche commençait vraiment a me casser les pieds. C'est vrai quoi, si j'ai envie de trouver une autre manière de passer c'est mon droit non? Vous me direz qu'il y a la note finale de style qui risque de s'en ressentir... Mais je m'en fout. J'ai eu suffisamment de voies en TD bien notées cette année pour être sur d'avoir une reconduction par la Fédération de mon permis pour les voies TD l'année prochaine. Bref. J'ai continué a monter sans l'assistant et au relais d'après j'ai mis offspring a fond sur le diffuseur pour me donner la pêche.

La longueur suivante s'est super bien passée. Au relais j'ai changé mes gants de grimpe auto-adhérents Depuis cette invention, les murs ne sont plus tachetés de prises blanches. La magnésie est devenue interdite sous peine d'amende. De toute façon on se demande bien qui pourrait encore préférer la magnésie aux gants. C'est tellement plus agréable et en plus ça garde les mains douces ce qui ne déplaît pas a ma femme...

Le dernier relais m'a averti qu'il me restait encore 30 min avant l'expiration de mon créneau. J'avais donc tout mon temps. J'ai engagé tranquillement la longueur sur les premières notes de Dido, un classique des années 2000. C'est là que tout a merdé. La pluie s'est mise a tomber rendant impossible toute progression. J'ai appelé la météo en les menaçant de leur faire assumer le coût d'un dépassement horaire, mais il m'ont dit de relire mon contrat et qu'était stipulé en bas que la météo assumait les erreurs de prévision a moins d'un an mais qu'au-delà il fallait que la prévision s'avère fausse pendant plus de 24h...Ma réservation auprès de la fédération datait de un an... et un jour! Furieux j'ai donc dû appuyer sur le bouton "secours". Le câble m'a hissé en haut de la voie où je suis arrivé avec 3 min de retard sur l'heure d'expiration de mon créneau.

Au final j'ai dû payer 1500 Euros de frais de secours non remboursé par mon assurance fédérale (j'ai épuisé mon quota de secours en janvier dernier dans la cascade du doigt d'astaroth a cause d'un crampon qui s'est brisé) et 550 Euros de dépassement horaire en dédommagement pour ceux qui avaient pris le créneau suivant. Le pire c'est que j'ai perdu 2 points sur mon permis grimpe et qu'il m'en reste donc plus qu'un! Il va falloir que je fasse vraiment attention a la suite si je veux pas refaire ces stages barbants de sensibilisation sur les pratiques a risques pour me redonner des points... La prochaine fois je ferais de l’escalade en salle, il y a moins d’aléas !




2052

par Cedric Larcher

Après 2050, Cedric Larcher nous propose une autre nouvelle sur la grimpe du futur. Inspirée de la nouvelle de Ray Bradbury "Le Criminel", elle nous parle de ce que pourrait être l'avenir de l'escalade en 2052...


Le préposé vint glisser un mot à l’oreille du secrétaire général de la fédération. Le prévenu était dans le couloir, encadré par deux gendarmes. La commission pouvait siéger. Le secrétaire général appuya sur un bouton, et quelques minutes plus tard le président de la Fédération d’Escalade Sportive Selective et Exclusive fît son entrée. La commission de discipline se leva, salua le président et chacun prît sa place. La commission de discipline de la FESSE n° 47546 était ouverte.

Le secrétaire général prît la parole : « Bonjour à tous. Je tiens à mettre en garde les membres de la commission quant à la gravité du sujet que nous allons traiter aujourd’hui. C’est la première fois que nous avons à juger un tel comportement de rébellion face au système de sécurité mis en place. Les sanctions doivent êtres exemplaires car c’est tout le fondement de la sécurité de l’escalade moderne qui est en jeu. Je vous demande donc d’être sans complaisance. Nous ne pouvons nous permettre de tolérer ce genre de comportement. »

Cela étant dit, il se tourna vers le préposé et fît signe de faire entrer le prévenu. Jean-Christophe Rulig entra et se dirigea vers le pupitre au milieu de la pièce. Un sourire lumineux éclairait son visage. Le secrétaire général lui demanda de décliner son nom, prénom, âge et numéro de licence. « Rulig Jean-Christophe, 28 ans, 202294AD974 »
Le secrétaire général commença l’interrogatoire.
- « M. Rulig. Vous savez pourquoi vous êtes ici ? »
- « Bien sûr, j’ai refusé de prendre en compte les mesures de sécurité »
- « ET de manière réitérée malgré toutes les mesures mises en œuvre. Vous avez bafoué le système conçu pour votre propre sécurité, vous avez mis en danger la vie des secouristes, vous avez donné un exemple suicidaire aux autres grimpeurs qui vous entouraient vous… » .
Le secrétaire général était au bord de l’apoplexie et son visage était devenu écarlate. Le président lui tapota sur l’avant bras…

- « Pouvez vous nous relater les faits ? » demanda le président.
- « Et bien ça a commencé le matin au réveil. L'alarme m’a réveillé brutalement pour me rappeler la séance d’escalade à 10h avec mes amis. Il faut dire que je me suis inscrit au groupe Visa performance pour progresser.
Je suis alors descendu déjeuner à la cuisine. Mes céréales spéciales Matin Power ont aussitôt vibré pour que je pense bien à ingurgiter les calories nécessaires à ma séance. Puis j’ai pris mon sac à dos Mealt qui m’a alerté sur le bas niveau de la réserve de Magnépof.
Arrivé à la salle, j’ai enfilé mon baudrier. Il m’a dit que j’avais pris 1,32 cm de tour de taille et que je devais penser que dans 2 jours, 6h et 24 min, il bloquerait son système d’ouverture à cause de la date de péremption."
- « C’est là que vous avez commencé à endommager les EPI mis à votre disposition ? »
- « Oui. J’ai arraché la puce parlante du baudrier pour ne plus l’entendre répéter sans cesse que vu mon poids et son usure, il ne pouvait pas résister a plus de 247 chutes en facteur 4. »
- « et ça vous a fait du bien ? »
- « Oui, mais le souci c’est qu’au moment d’assurer mon compagnon, le descendeur a refusé de se connecter car le baudrier n’étais plus actif »
- « Evidemment, c’est la procédure sécuritaire. Et qu’avez vous fait alors ? »
- « J’ai proposé à mon compagnon de l’assurer avec un descendeur non éléctronique. J’avais vu mon grand père faire ainsi autrefois et… »
Ses propos soulevèrent des « ooohhh » parmi les membres de l’assistance.
- « Vous savez que la détention de ces engins est passible d’une interdiction de salle durant 5 ans ? »
- « Oui, je sais, mais j’ai une dérogation pour pièce de collection. »
- « Cela ne vous autorise pas à en faire usage »
- « Je sais, mais de toute façon mon compagnon a refusé ».
- « Voilà quelqu’un de censé et de raisonnable » dit le secrétaire général.

- « Et qu’avez vous fait ensuite ? » demanda le président
- « J’ai demandé que ce soit lui qui m’assure. Mais la corde ne voulait pas accepter non plus de se clipper sur le baudrier. Connectivité défectueuse disait l’écran souple en bout de corde. Qui plus est je n’avais pas annoncé sur quelle voie je partais, donc la corde refusait de se dérouler en annonçant : « Longueur de corde non validée, longueur de corde non validée »…"
- « C’est là que vous avez commis l’irréparable ? »
- « Oh, j’ai juste coupé les 20 cm de corde où se trouvaient la connectique »
- « Juste…. !!! » dit le secrétaire général »
- « De toute façon ça n’a pas servi à grand chose, elle s’est reconstituée immédiatement ».
- « Le matériel est conçu à l’épreuve des incidents comme des vandales! » dit avec un regard sévère le secrétaire général ».
- « Et c’est là que vous avez… ».
- « Comme je n’avais pas le droit à la corde ni au baudrier, je me suis dit que finalement, pour un bloc de 3m de haut, avec 8 airbags automatiques de sécurité au pied, je n’avais pas vraiment besoin de la corde. Et je suis parti dans le bloc »
- « En solo ????? » Les membres de la commission avaient crié tous ensemble d’une même voie. »
- « Bah sans corde quoi. Je suis pas sur que l’on puisse vraiment parler de solo dans un petit bloc comme cela…».
- « N’essayez de minimiser l’importance de vos actes ». Dit le secrétaire général. « Vous savez très bien que dès que vos pieds s’éloignent du sol à une distance supérieure à celle que vous seriez en mesure de franchir en gardant un pied au sol, vous devez être encordé. Dans le cas contraire c’est du solo et cette pratique barbare et dangereuse est interdite par la fédération, qui je vous le rappelle est délégataire des pouvoirs de l’Etat pour toutes les ascensions verticales. C’est au dos de toutes les licences et sur tous les manuels de Maternelle Supérieure. »
- « Je sais bien, mais franchement, je… »
Le président lui coupa la parole.
- « Je crois que vous ne mesurez pas bien la portée de vos actes Mr Rulig ! Vous avez violé toutes les règles de sécurité instaurées par la fédération depuis 50 ans. Vous avez endommagé et détruit du matériel de sécurité mis à votre disposition par les fabricants, vous avez par votre conduite mis en danger la vie des grimpeurs et de votre entourage. En conséquence nous vous condamnons à une radiation définitive de la fédération. Vous n’aurez plus le droit de grimper où que ce soit. Et si vous tentez de passer outre cette interdiction, ou de rejoindre les quelques rebelles qui sévissent encore sur les rares falaises ou rochers non conventionnés, vous serez immédiatement incarcéré avec une peine de sécurité de 15 ans. Qu’on l’emmène ! »